mardi 9 juin 2009

AMERICANA


En route vers la gloire, l’œuf du serpent, Le gang des frères James, Kill Bill…il me semble qu’avec sa disparition, digne d’une des innombrables séries Z dans lesquelles il s’est illustré, on a un peu trop vite réduit David Carradine au seul Kung Fu sans s’attarder sur un travail souvent plus subtil que ce qu’on veut bien croire. Il faut certes plonger dans un océan de navets pour remonter quelques pépites à la surface, mais l’exercice n’est pas sans intérêt. Pour preuve cet Americana, écrit et mis en scène par l’acteur, et qui apparaît comme un des grands oubliés des seventies, du fait, sûrement, d’une production assez rocambolesque, qui le fit arriver, très brièvement, sur les écrans, en 1983 seulement, soit près de dix ans après la réalisation de ses premières scènes.


C’est en effet après le succès de la première saison de Kung Fu en 1973 que l’acteur, désireux de se lancer dans la mise en scène, monta en toute hâte une maison de production, et profita de ses vacances pour partir un petit mois dans le Kansas, avec une équipe réduite, tourner deux films pour un budget dérisoire, une comédie musicale, A country Mile, dont il laissa la mise en scène à Michael Greene (le personnage principal, interprété par Carradine, étant censé être ivre en permanence, l’acteur avait décidé de tourner ses scènes dans le même état, pour voir le résultat, un sursaut de lucidité lui fit comprendre qu’il était plus sage, dans ses conditions, de laisser la mise en scène à un autre) et Americana. Ce dernier est adapté d’un roman d’Henry Morton Robison sorti en 1945, dont Carradine n’avait pas les droits (c’est Martin Scorsese qui lui conseilla de passer outre ce détail et de se faire plaisir en tournant quand même, lui assurant qu’il n’aurait pas de problèmes tant que le film resterait dans le circuit confidentiel des festivals), et qui raconte la difficile réinsertion d’un militaire revenu des champs de bataille dans une petite ville du Middle West, où il se consacre à la réparation d’un manège (Carradine adapta la situation à l’époque en faisant du personnage un ancien du Viet-Nam).


Après avoir acheté un manège à la casse à Los Angeles, l’équipe s’installa donc dans une grande maison au cœur du Kansas, commença par tourner, en onze jours, A Country Miles, puis en 18 jours, Americana, avec des habitants du crus dans les rôles secondaires. Le tournage faillit s’interrompre au bout d’une semaine, les financiers s’étant avérés être des escrocs, avant qu’un exploitant de Wichita ayant entendu parler du tournage, ne passe sur les lieux, et décide d’investir au pied levé dans la production. Au bout d’un mois, Carradine rentra à Los Angeles reprendre le tournage de Kung Fu, Michael Greene alla à Taos, chez Dennis Hopper, monter A Country Miles, le résultat fut tellement pitoyable, que Carradine décida de ne jamais le sortir. Après un premier montage d’Americana, l’acteur laissa le film de côté, sa vie et sa carrière partant déjà un peu dans tous les sens. Au début des années 80, une de ses proches, alors assistante de production à la United Artists, curieuse de voir ce film qui n’avait pas bougé depuis près de sept ans de son étagère, fut éblouie par le résultat. Carradine décida alors de s’y consacrer à nouveau, profita d’un jour férié pour tourner clandestinement, avec la complicité de l’assistante de prod, quelques scènes supplémentaires dans les studios de United Artists, une dernière dans les studios de la MGM, là encore en toute clandestinité, alors qu’il tournait un film pour le studio.Après une projection à Sundance en 1981, United Artists acheta les droits, puis, l’équipe ayant quitté le navire après le désastre des Portes du Paradis, Americana fut de nouveau oublié. Carradine racheta les droits, il les revendit à la MGM, qui organisa une sortie pour le moins confidentielle en 1983, l’époque était à Flashdance et à Wargames, le public hypnotisé par les montages ultrarapides n’était plus prêt du tout à accueillir cette lente balade désespérée, un poème en images selon Walter Hill. En dépit de son thème, Americana est en effet plus proche des langueurs magnifiques de Tender Mercies ou de Paris Texas, voire du splendide Cockfighter de Monte Hellman, que de l’efficacité bourrine d’un Rambo.


Interprété par Carradine et Barbara Hershey, sa compagne de l’époque, ce film contemplatif raconte l’histoire d’un vétéran du Viêt-Nam qui, souffrant de troubles psychologiques dont la nature n’est jamais précisée, arrive un beau jour pieds nus de nulle part dans une petite bourgade du Kansas, tombe sur un manège abandonné au milieu d’un champ à la sortie du village, et se met en tête de le réparer, et, peut-être, de se réparer lui, par la même occasion, de renouer avec une part d’enfance, une innocence perdue, avec une autre image de l’Amérique, aussi, celle d’avant les traumatismes. Bien vite, il devient un objet de curiosité pour les habitants, le mécanicien du village, peut-être sexuellement troublé par le militaire, se lie d’amitié avec lui, les choses commencent à mal tourner lorsqu’un combat de coq illégal est organisé, notre héros dégoûté par la violence, l’interrompt brutalement, et se met à dos les hommes du village, qui, ivres de rage, vont détruire son manège.
Portrait sans concession d’une petite ville du middle-west au milieu des années 70, Americana est aussi l’un des plus beaux films sur un sujet pourtant abondamment traité par le cinéma américain de l’époque, la réinsertion des soldats du viet-nam. Pas de violence ici pour imposer la nécessité de la non-violence (Billy Jack), pas d’anti-militarisme un peu simpliste (Coming Home), pas de glorification de l’héroïsme américain (Rambo 2), pas non plus de catharsis violent (Voyage au bout de l’enfer). Pas de colère ni de vengeance, pas de flash-back explicatifs, pas de stéréotypes ni de clichés, mais des personnages complexes, de l’humilité, du réalisme (accru par les acteurs non professionnels, les vrais habitants de la ville, tous d’une justesse confondante) et au final un film profondément humain, qu’on garde longtemps en soi.

vendredi 29 mai 2009

THE DION'S BROTHERS


Jack Starrett a commencé sa carrière comme acteur, on le retrouve au générique de quelques films de Bikers des années 60 produits par AIP (Hell’s angels on the wheels, The Born Losers, Angels from Hell, etc.). Il passa de peu auprès de la légende : Rip Torn, qui devait initialement jouer le rôle de Hanson, l’avocat texan d’Easy Rider, s’étant battu dans un restaurant avec Dennis Hopper (au couteau à beurre !), le metteur en scène porta alors son choix sur Starrett, avant que son producteur, Bart Schneider ne lui impose son ami Jack Nicholson. Starrett passa à la mise en scène en 1969 avec encore un film de Bikers, Run angel run - il réalisa quelques années plus tard l’un des plus cultissimes du genre, le fameux Nam’s angels, sorte de remake des Douze salopards en pleine guerre du viet-nam, qui met en scène un commando de Hell’s Angels cassant du Viet-Cong ! Suivront quelques fleurons de la Blaxploitation, Cleopatra Jones (Dynamite Jones en zone 2), Slaughter, ou encore, en 1975, un Race with the devil (Course contre l’enfer en zone 2), avec Peter Fonda et Warren Oates aux prises avec des satanistes ! C’est en 1974 que Jack Starrett met en scène ce qui est certainement son chef d’œuvre, The Gravy Train, plus connu sous le titre The Dion’s Brothers.
Le film est né dans l’esprit d’un jeune inconnu, Terence Malick, qui, issu du Center for Advanced Film Studies en 1969 s’était fait les dents sur Dirty Harry (tout comme John Milius) et sur l’injustement oublié Drive He Said, mis en scène par Jack Nicholson, avant d’écrire, entre 1970 et 1971, trois scénarios, deux originaux, Deadhead Miles (un road movie dans la lignée de Vanishing Point ou de Two Lane Blacktop, première production de Tony Bill, que Vernon Zimmerman mettra en scène en 1972), The Gravy Train et l’adaptation d’un roman de JPS Brown, Pocket Money ( Les indésirables en Vf, mis en scène en 1972 par Stuart Rosenberg, avec Paul Newman et Lee Marvin). Trois scénarios qui se caractérisent par un humour et un sens de la comédie omniprésents qu’on en retrouvera guère dans ses œuvres ultérieures. Jonathan Taplin, ancien tour manager de Dylan et du Band, qui se lançait alors dans la production acheta les droits de The Gravy Train, en même temps que ceux de Mean Streets, écrit par un autre inconnu, Martin Scorcese. Malick devait mettre en scène The Gravy Train, mais, suite à des désaccords avec Taplin, il abandonna le projet, prit un pseudo, David Whitney, pour signer sa contribution et le bébé fut confié à Starrett.
The Gravy Train conte l’aventure de deux frères, ouvriers dans une usine des Appalaches, qui décident du jour au lendemain de quitter leur boulot pour se lancer dans des activités criminelles à Washington DC, afin d’avoir un train de vie plus décent. Le film fut distribué par la Columbia, qui le sortit une première fois en juin 1974 sous le titre The Gravy Train, puis, devant l’échec public, une seconde fois en novembre de la même année sous le titre The Dion’s brothers, sans plus de succès.

Cette superbe rarity réussit à doser parfaitement un cocktail pourtant délicat : réalisme social (on sent la patte de Malick derrière le destin tragique de ces deux losers – à qui Frederik Forrest et Stacy Keach donnent une véritable épaisseur – mais est-il utile de le préciser ?), comédie désopilante (aussi bien dans les dialogues que les situations - le rêve de nos deux outlaws n’est pas de fonder un empire du crime, mais tout bonnement d’ouvrir un restaurant de fruit de mer…), et film d’action virtuose (la touch Jack Starrett cette fois, avec de superbes coups de feu qui sonnent comme dans les westerns spaghetti). Malick et Starrett – l’accouplement contre-nature par excellence donne ainsi naissance par on ne sait quel miracle à un patchwork parfaitement équilibré – et on comprend très vite pourquoi Tarantino revendique cette Magnum Farce comme une de ses influences majeures. Vous avez dit cool ?


"Look at me! Kirk-fucking-Douglas!!"